Et si nous étions des mouches ?


Un jour, alors que j’essayais de faire prendre conscience de quelque chose à un ami, j’entendis une mouche tentant désespérément de passer à travers la vitre d’une fenêtre. Elle émettait un furieux grondement d’ailes, allant de si de là, le long de cette paroi invisible. Et comme toutes les mouches, celle-ci n’avait pas un esprit, ou une conscience assez développée pour se rendre compte que ses efforts étaient inutiles. Si la mouche était capable de penser, elle devrait probablement se dire : qu’il lui arrive à certaines occasions, dans des circonstances qui lui échappent, de ne plus pouvoir avancer, bien que rien ne la bloque.

Alors que la mouche sait qu’elle ne peut continuer d’avancer, elle ne le perçoit pas, et continue d’essayer, la voie est en même temps libre et bloquée. Son esprit aussi petit soit-il, lui dit qu’il n’y a pas d’obstacle alors qu’elle est justement en train de s’y frotter. Quelle dichotomie n’est-ce pas ?

Mon ami à ce moment me faisait alors penser à la mouche. Il se frottait à une contradiction, il n’arrivait pas à voir plus loin, il était prisonnier de ses propres croyances. Mais surtout, il était incapable de voir la vitre, de voir l’incohérence. Comme cette mouche, il devait jongler entre ce qu’il voyait, entendait, apprenait et sa propre incapacité à voir cette vitre. Il se heurtait à quelque chose qu’il ne voyait pas. Il devait donc tordre ce que je voulais essayer de lui apprendre, afin que cela puisse correspondre avec ce qu’il était capable d’admettre.

Je pris alors conscience rétrospectivement, qu’essayer de le changer à ce moment aurait eu le même effet que de montrer la vitre à la mouche : c’est-à-dire aucun.  

Nous pouvons considérer l’image de la vitre comme toute croyance limitante, ou comme partie de notre esprit qui refuse de s’ouvrir et de s’élargir. Dès lors, nous sommes obligés d’interpréter ou de déformer ce que nous apprenons pour rendre l’information cohérente avec notre système de pensée.

Je me rappelle avoir montré à un médecin une étude clinique qui visait la guérison d’une maladie génétique. C’était un éminent spécialiste reconnu dans tout le pays. Mais pour lui, il était impossible de modifier le gène responsable de la maladie. Par conséquent, l’étude ne pouvait pas avoir lieu. Alors, je lui dis :

  • Docteur, il est écrit noir sur blanc que l’étude a commencé
  • Oui, mais ce n’est pas possible de faire cela, l’étude ne peut pas être mise en œuvre.
  • Comment expliquez-vous le papier que je vous tends ?
  • Il doit s’agir d’une idée, d’un concept. Mais qui ne sera pas réalisé. Ils ont probablement mis cette étude en ligne pour parler d’une théorie, car la mise en pratique est impossible.

À ce moment, je compris qu’il ne comprenait pas, ou du moins qu’il tordait une réalité que je lui présentais pour que celle-ci puisse correspondre à ce qu’il croyait être possible. Pour lui, il devait être face à un inconnu qui lui expliquait que la terre était plate. Il me répondait alors qu’il s’agissait juste d’un dessin, mais que la réalité était bien différente.

Pour l’histoire, cette étude a réellement eu lieu, et dans plusieurs pays. De plus avec succès…  

Mais chaque confrontation avec un tel obstacle est en fait une opportunité d’évolution. Au plus nous nous cognerons face à l’incohérence, au plus nous aurons la possibilité de changer. En effet, comment la mouche pourrait-elle évoluer sa façon de percevoir la vitre tant qu’elle ne s’y cogne pas ? Grâce à la contradiction, il est possible d’élargir notre conscience, et de reconnaître l’existence d’un obstacle limitant. Dès lors, nous goûterons à la liberté d’une perception plus large du monde.

Notre résistance au changement est la force qui alimente notre propre incapacité à faire évoluer nos croyances. Or ce sont elles qui organisent la façon dont nous percevons le monde. Le problème est qu’elles ne sont pas objectives. En effet, elles dépendent de notre éducation et de nos expériences.

 Prenons conscience qu’il y  a des choses que nous savons que nous savons, et aussi des choses que nous savons que nous ignorons.

 Mais la plus grande partie de nos lacunes provient des choses que nous ignorons ignorer. À ce niveau, nous ne savons même pas où chercher, ni quoi chercher. La connaissance est donc immensément vaste. Il serait d’ailleurs extrêmement prétentieux d’affirmer que nous ayons déjà découvert 1% des mystères du monde. Il est donc primordial d’avoir un esprit le plus neutre possible. Car les préjugés et les croyances sur la façon dont le monde doit fonctionner est l’obstacle au véritable progrès.

Si une mouche à ce comportement quelque peu agaçant face à une évidence qu’est la vitre, quelle serait l’ampleur de notre ignorance, si nous étions également comme des mouches ?   Quelle serait l’ampleur de nos lacunes vis-à-vis d’une réalité que notre minuscule conscience ne pourrait à peine discerner ?  Quelles seraient les évidences face auxquelles, nous serions tout aussi aveugles que la mouche qui se cogne contre la vitre ?

 Nous sommes probablement des mouches à une autre échelle. Il y a des choses que nous ignorons ignorer, et des ressentis, des expériences qui ne nous sont pas accessibles. Nous ne percevons avec nos cinq sens qu’un fragment de la réalité, le reste nous est inconnu. Notre esprit est donc limité par ce qu’il perçoit. L’imagination quant à elle n’a pas de bornes, et peut donc être tout aussi dangereuse que bienfaitrice.

Cet exemple de vitre nous permet de nous mettre en perspective par rapport à ce que nous ignorons.  

Nous prenons des décisions sans connaître les conséquences que celles-ci auront sur ce que nous ignorons. Est-ce un peu trop farfelu ? Peut-être … Alors gardons simplement à l’esprit que l’une des choses les plus importante est de rester ouvert, flexible, adaptable… Car lors d’un imprévu, un rocher se brise, tandis que l’eau change de forme.

Jonathan Avalosse

Jonathan Avalosse

Passionné par les états modifiés de conscience, ils ont bouleversé ma vie. Je suis écrivain, praticien en thérapie brève, en hypnose et en méditation.

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